Nouvellesdusahara.fr publie ici le témoignage que Mustapha Abdeddaim, un intellectuel Sahraoui libéré de prison le 27 octobre 2011 après près de trois ans de détention, a présenté récemment à Juan E. Méndez, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture.
« Je suis né en 1962 à Salé. Ma famille est originaire de la ville d’Assa, de la tribu des Ait Oussa. Je suis né à Salé car mes parents y sont venus en 1948 . Mon père a retrouvé un cousin qui était fleuriste et qui travaillait au grand marché aux fleurs de Rabat. Il faisait des bouquets pour la clientèle française et pour la bourgeoisie marocaine.
« Nous habitions dans le ghetto juif du Mellah. C’était là où vivaient les vrais Slaouis, des Maurisques venus d’Andalousie, des gens très propres, très élégants vivant avec art comme les Fassi. L’école primaire s’appelait Bab Rih, c’est-à-dire «La porte du vent». J’étais le seul enfant Sahraoui de l’école, reconnaissable par ma tenue et ma coiffure. Comme tous les enfants Sahraouis, j’avais des touffes de cheveux sur les côtés et une crête au milieu.
« A l’université, j’ai commencé des études de philosophie. Je militais au sein de l’Union Nationale des Etudiants Marocains. J’ai commencé à parler de la Cause Nationale, de ceux qui étaient en prison ou qui avaient été enlevés. En 1982, ce fût «Le mercredi noir». J’ai passé 15 jours au Commissariat. On nous a arrêtés, Sahraouis et Marocains proches du parti El Amam, le parti de Serfaty. On était «disparus». Cette arrestation et cette disparition ne sont notées nulle part. J’étais un étudiant, issu d’une famille pauvre qui rêvait de sauver sa famille. Là, j’ai changé de méthode. je faisais partie de l’union socialiste des Forces Populaires. On essayait de parler de notre Cause à l’intérieur du Parti, j écrivais des petits articles dans leur journal sur les traditions sahraouies (…).
« On est tenu d’assister à toutes les fêtes nationales marocaines »
« J’ai suivi une formation de professeur pendant deux ans puis j’ai été nommé professeur à Casablanca et Marrakech où j’ai continué à écrire récits et poèmes mais je n’avais plus d’engagements politiques. J’étais le seul professeur Sahraoui du Lycée. Je n’avais pas le droit de dire que j’étais Sahraoui car on était considéré comme des traîtres vis-à-vis du roi. Quand on est identifié comme Sahraoui, on est tenu d’assister à toutes les fêtes nationales marocaines. On t’oblige à faire des choses que l’on ne demande pas aux autres et on le fait, sinon on est accusé de cacher quelque chose.
« Les choses ont changé quand j’ai décidé de devenir surveillant général. J’ai demandé le poste de Zag (NDLR : au sud du Maroc, tout proche du Sahara occidental). J’ai choisi Zag car j’y allais en vacances chez mes oncles et mes tantes, c’était ma manière de me racheter pour toutes ces années de paresse. Je pense qu’ils se sont trompés en m’envoyant là-bas. Pour eux, j’étais Slaoui et vu mes notes, on ne pouvait pas me refuser cette affectation. On était en 2005 (NDLR : début de ce que les Sahraouis appellent l’intifada). Dès septembre, dès le premier mois, j’ai commencé à manifester.
« Zag est une ville d’environ 12000 habitants. Dans mon collège, il y avait des Sahraouis et de nombreux enfants de militaires Marocains.
« En décembre 2006, à Salé, les Marocains ont arrêté mon frère et mon neveu. En signe de protestation, le 10 décembre 2006, Journée Internationale des Droits de l’Homme, j’ai versé 10 litres d’essence sur mon corps et j’ai menacé d’y mettre le feu si on ne les relâchait pas. Tout le collège est sorti.
« Pendant cette période, j’ai écrit sur le site de l’Union des Journalistes et Ecrivains Sahraouis. J’ai publié en arabe un ouvrage intitulé «On demande l’Aube», c’est-à-dire la Liberté (collection l’Indépendance). »
Le 1er septembre 2008, Mustapha Abdeddaim est nommé à Assa (NDLR : même région que Zag), au Collège Allal El Fassi. Le 27 octobre 2008, il a été arrêté pour outrage au drapeau.
« Ce jour-là, des étudiants au chômage demandaient pacifiquement leur Droit au travail. Au matin du 27, les gendarmes sont intervenus brutalement, les jeunes ont riposté avec des cailloux. La gendarmerie a demandé de l’aide. Ils ont nettoyé les rues, les boulevards, ils sont entrés dans les maisons, ils ont battu les femmes, les enfants et les vieux. A 14 h, comme d’habitude, j’ouvre la porte du lycée. J’ai fait entrer les élèves et j’ai refermé la porte. La gendarmerie est arrivée autour du lycée et certains élèves ont commencé à crier des slogans. Les gendarmes étaient venus pour en arrêter quelques-uns. J’ai refusé de les laisser entrer, j’ai réagi en tant que fonctionnaire à qui il est interdit de laisser entrer une personne étrangère au service. Ils ont essayé de forcer la porte, certains sont passés par-dessus le mur. Ils m’ont obligé à leur donner la clef, je me suis précipité dans la cour et, en guise de protestation, j’ai baissé le drapeau au trois quart, en signe de deuil.
« A minuit, ils sont venus m’arrêter au lycée. Ils m’ont tabassé, ils ont pris mon PC et quelques articles et m’ont emmené à la gendarmerie d’Assa. Le Colonel, qui m’a interrogé, m’a dit :
-Tu n’as rien à voir avec les Sahraouis, tu es Marocain.
- Non, je suis Sahraoui.
-Tu es Slaoui, pourquoi tu fais ça ?
-Si ce que vous dites est vrai alors la fille de Mohamed V, Amina, n’est pas Marocaine puisqu’elle est née à Madagascar!
Il m’a giflé, j’ai vu des étoiles.
-Ne cite pas les noms de nobles.
« J’ai comparu devant le Tribunal de première instance de Guelmim. (…) Le 4 novembre 2008, j’ai été condamné à 3 ans fermes et à 5000 dh d’amende, assortis d’une interdiction de travailler durant 10 ans.
« Au procès en appel le 11 décembre, les avocats n’ont pas été convoqués et la cour a refusé le report du procès jusqu’à ce que les avocats viennent. J’ai tourné le dos au juge et ma peine a été confirmée. Mon cas a été présenté à Genève devant le Conseil des Drois de l’Homme. (Lire le compte-rendu de la séance du 15 juin 2012 au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU et le cas présent page 3).
Promiscuité et maltraitance
« On m’a enfermé dans la prison d’Inzgane près d’Agadir. Une prison horrible, surpeuplée avec 1400 détenus pour entre 500 et 600 places. Dans ma cellule de 3 m par 4 m, nous étions 90. Chaque personne dispose de la largeur d’une main plus 4 doigts pour s’étendre. Ceux qui sont la tête contre le mur, sur les 4 côtés de la cellule, sauf à l’emplacement de la porte blindée, doivent mettre leur corps sur le côté et sont tête-bêche. C’est la position dite «presa». Ceux qui sont dans l’espace central sont couchés sur le dos tête-bêche aussi en position appelée «trlicha».
« Dès le premier jour, on m’a donné l’espace d’une main et quatre doigts. La nuit, quand j’ai dû aller aux toilettes, j’ai vu qu’il y avait aussi des gens dans ce qu’il faut appeler des «chiottes», ça puait. J’étais le seul prisonnier politique Sahraoui au milieu de Marocains. Je n’ai pas été autorisé à rejoindre la cellule où il y avait des Sahraouis. On nous traite comme des gens qui n’ont pas le droit de vivre car nous sommes les «Enfants maudits du roi», des traîtres. Les atteintes à notre dignité humaine sont incessantes. Lors des fouilles, on nous déshabille devant tout le monde. Les Marocains sont maltraités car ils ont commis des erreurs, comme la drogue, mais nous, on n’a rien fait, on est maltraité car on est Sahraoui et Polisario, car on est contre le roi, contre le « Sahara marocain ». Les dirigeants me disent toujours la même chose, ce qui montre bien qu’ils ne comprennent pas :
- Tu as une carte d’identité marocaine, tu as de l’argent, des papiers d’identité marocaine…
(moi) – Pour les papiers, je n’ai pas le choix et pour l’argent, je n’en demande pas. Ben Barka aussi avait des papiers français, pourtant cela ne l’empêchait pas d’être marocain…
« Je suis resté trois mois à la prison d’Inzgane. Ensuite, j’ai été transféré sans explication vers la prison de Aït Melloul à 4 h du matin. Je pense qu’on était le 27 février 2009.
« La prison de Aït Melloul est plus propre, il y a parfois des lits et des matelas, mais la surpopulation, 3500 détenus pour 1600 places, fait que souvent les détenus sont sur des matelas placés entre les lits.
« Nous sommes maltraités en tant que Sahraouis. Quand nous arrivons dans une prison, nous sommes inscrits en rouge sur la liste des prisonniers comme «Cas spécial». C’est une manière pour les gens de l’Administration de nous signaler et de nous stigmatiser.
« Pendant un mois et demi environ, j’ai protesté, j’ai observé une grève de la faim. En plus, j’ai fait passer clandestinement des articles dans les journaux marocains qui parlaient de la prison d’Inzgane, d’Aït Melloul et de Tiznit.
« Le 4 juin 2011, j’ai été transféré à la prison de Tiznit à 4 h du matin. Durant la plus grande partie de mon emprisonnement jusqu’à ma libération, j’ai été dans la même cellule que Naâma Asfari (Lire l’article du 10 septembre 2012). (…) La prison de Tiznit est une prison différente, d’abord elle est plus petite et la plupart des prisonniers sont Sahraouis : 350 dont 20 prisonniers politiques. Le fait qu’on soit majoritaire entraîne un meilleur traitement. Cette prison a une capacité d’accueil de 290, mais le nombre de détenus peut atteindre 800.
« Je n’ai pas vu le soleil pendant 36 jours«
« Le 4 juin 2011, j’ai été transféré, ou plutôt enlevé, mains menottées et yeux bandés vers un lieu inconnu. En fait, c’était à la prison de Salé mais je ne l’ai su que plusieurs semaines plus tard. Je suppose que c’était pour me punir d’avoir fait publier dans l’hebdomadaire marocain arabophone «El Watan Al An», une interview réalisée par téléphone. L’Administration Générale a cru que j’avais reçu des journalistes sur les lieux. Le directeur quant à lui a été transféré.
« (…) Pendant le transfert en voiture, j’étais à plat ventre, j’ai été frappé à coup de pied et giflé mais ce n’était pas le pire de ce que j’ai subi. Ils savent nous faire mal. Ils savent te faire peur.
« Je suis resté 5 jours avec les menottes, je ne pouvais pas aller aux toilettes, ils te transforment en animal, tu supportes n’importe quoi, tu fais sur toi (Note de la personne qui a recueilli le témoignage : à ce moment du récit l’émotion le submerge mais il continue…). Tu perds ta dignité, ton humanité, ils attendent le moment où tu ne supportes plus.
« Ils t’empêchent de dormir, ils te surveillent depuis la lucarne de la cellule, quand ils voient que tu piques du nez, ils entrent en hurlant, ils t’obligent à te mettre debout ou à genoux, ils te giflent…Après ces 5 jours, ils te versent de la javel pour te nettoyer, ils disent qu’ils ne supportent plus ton odeur et que j’étais pourri…
« Je n’ai pas vu le soleil pendant 36 jours. J’ai cru que j’étais devenu cinglé quand j’ai entendu des voix me demander comment j’allais de la part de Naâma. Je croyais que j’avais des hallucinations.
« Au 37ème jour, 20 personnes sont venues pour me faire sortir de ma cellule, ils m’ont mis un bandeau. Je croyais qu’ils m’emmenaient pour m’exécuter, je ne pouvais plus marcher. Quand ils m’ont enlevé le bandeau, j’étais dans le parloir où se tenait ma famille.
« Je suis resté 36 jours disparu, du 4 juin au 10 juillet 2011. Ma famille n’a jamais su où j’étais. Malainin Makhal, le Secrétaire Général de l’UPES, a déclaré dans les médias que j’étais porté disparu. Mes parents avaient écrit dans toutes les prisons où j’étais passé sans jamais avoir de réponse. Finalement, le procureur de Salé a répondu que j’allais bien. Les gardiens m’ont donné les vêtements que mes parents avaient apportés. J’étais toujours seul, pour la promenade aussi, je sortais en plein midi avant que les autres ne sortent à 14 h. C’était comme une sorte de punition.
« Les quatre dernières semaines, j’ai pu lire et écrire et peu à peu mon régime s’est assoupli. J’ai été libéré le 27/10/2011.
« Maintenant je suis interdit d’exercer mon métier, je suis au chômage, je subis chantage et pression en tout genre. On essaie de me graisser la patte, de m’acheter… J’ai été convoqué plusieurs fois par le gouverneur d’Assa pour me faire des propositions. On m’a demandé d’écrire une lettre de demande de Grâce. Le Délégué Régional de l’Education d’Assa-Zag est venu en prison pour me proposer de reprendre mon travail à condition que j’écrive mon autocritique et que je renie le Polisario. Ils espèrent toujours me récupérer car je suis fonctionnaire. Ils disent:
-Qu’est-ce que tu veux de plus, tu as un travail, un salaire, une maison, une baignoire (sic!), pourquoi tu fais tout ça ?
« Ils disent la même chose à (d’autres militants).
« En janvier 2012, lorsque les activistes sont revenus du XIII° Congrès du Polisario, ils sont passés par Assa, lors de leur tournée des villes sahraouies, pour faire leur compte-rendu. Le gouverneur m’a fait appeler pour m’ordonner de ne pas les accueillir. Je lui ai répondu :
-Arrêtez-les vous-mêmes à l’entrée de la ville si vous en avez le courage.
« Les chefs essaient la séduction. Si tu refuses leurs propositions, ils deviennent nerveux, ils se mettent en colère. C’est choquant car ce sont des dirigeants mais en fait, ce sont des bourreaux dans l’âme.
« En juillet 2012, j’ai été invité avec d’autres activistes à aller à l’université du Polisario à Alger puis nous sommes allés à Tindouf. C’était ma première visite là-bas, j’ai vu les difficultés de vie de nos familles, j’ai senti «les larmes de la chaleur».